Le menti-menteur (l´envoûteur) ou Comment attirer l´argent et l´amour

Les aventures de Damida, la petite créole

ou
Dieu est Maîtresse-Femme Créole

Maxette Olsson

Notre écriture doit accepter sans partage nos croyances populaires, nos pratiques magico-religieuses, notre réalisme merveilleux, les rituels liés aux “milan “...” Éloge de la créolité - in praise of creolness - Jean Barnabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant. (Édition bilingue Gallimard)

Le menti-menteur (l´envoûteur)
ou Comment attirer l´argent et l´amour

 Pour Potomitan et dédiée à Josiane Boulangé Martiniquaise à Paris, styliste, habilleuse à Euro-Disney et joueuse de gwo-ka, Dagmar Glemme Suédo-Allemande peintre-sculptrice en Suède, Marie-Claude Amour gréffière Guadeloupéenne et Jocelyne Paulmin Martiniquaise spécialiste de produits antillais en Nouvelle-Calédonie qui ont insisté pour la publication de cette aventure.

L'ange de lumière

L'ange de lumière. © Dagmar Glemme



Dans “Comment faire Soucougnan ” (Ces dames alaires lucifuges (voir Montray)),  Damida était convaincue que  Madame Magelin n'était pas une “vieille sorcière” à cause d´une institutrice de petite classe qui s'amusait à lui martyriser les doigts, outils de création, avec une règle en fer. La devise était de fouté fè (fouter du fer, profiter) quoique pour une gamine c'était prendre trop de fer (avoir la vie difficile) à la fois.

Et voilà l'histoire.

Damida amorçait sa huitième année sur Terre quand en faisant sa toilette, Amélia Totoblo la jeune employée de maison venue de Fond-de-Croix, une section de Bellefort, découvrit le dos de ses mains et ses poignets tout bleuis.

- Qui est-ce qui t'a fait cela? brailla-t-elle sèchement.

Qu'elle y fasse attention ce jour était bizarre, parce que de couleur sapotille, Damida était le plus souvent bleue marine par les rossées de son beau-père. Avouer que ces contusions étaient dues à la règle en fer de la maîtresse était un péril à ne pas braver. Selon le niveau de culpabilités de sa manman, ou celle-ci blâmerait la maîtresse sans aller la voir ou elle la mettrait à genoux sur le plancher en interrogatoire classique: “Qu'as-tu fait à la maîtresse? Pour qu'elle te frappe, elle doit avoir une raison. Elle n'est pas seulement restée comme ça et t'a donné des coups. Qu'est-ce que tu as fait?” Désobliger la maîtresse étant une grave offense, lui vaudrait une nouvelle volée et là elle serait dans un tourbillon sans issue de secours.
 
Mademoiselle Bodari, une très jeune institutrice souvent en remplacement, était mécontente de son instabilité professionnelle. La turbulence des enfants l'affolissait, à la moindre agitation, elle ordonnait d'allonger les mains et pong! pong! ses coups de fer pleuvaient. Si elle ratait les doigts, elle frappait les poignets. Non, non! Damida ne s'aventura pas à vider son sac d'école à la maison et se bâillonna à la question d'Amélia.

Amélia Totoblo qui comme le veut l'éducation magico-religieuse Guadakérienne, fourrait des intentions diaboliques et néfastes dans chaque fait, bienfait ou méfait, se mijota toute seule que la petite fille était sucée par une soucougnan. Hystérique, elle interrompit la toilette de Damida, bâcla brusquement toutes les portes et se rua sur sa patronne à son arrivée, les deux mains se griffant la tête:

– Wélélé! Man Adrien, un soucougnan suce Damida. Il faut faire quelque chose. Le butin suce tout son sang. Regardez!

Survoltée, elle attrapa brutalement la petite fille par le bras et montra les ecchymoses à la mère. Celle-ci exténuée par sa journée infernale à mettre le feu sous les fesses des faitouts colossaux à la cuisine archaïque et délabrée de l'hospice Sainte Thérèse, au risque chaque jour d'être elle-même métamorphosée en ragoût, s'enquit d'une voix écrasée:

– Ka-w vlé an fè? (Que veux-tu que je fasse?)

Empreinte du mystère de ceux qui protègent les arcanes, sous le regard las de son employeuse, la jeune fille cala ses deux œufs dans un mouchoir qui constituaient son derrière sur une chaise empaillée, pris un petit air patriote et relata en chuchotant, parce que les murs ont des trous d'oreilles, qu'elle avait une cousine qui se faisait aussi sucer comme une pomme liane par une soucougnan, même qu'elle avait la cocotte (vagin) toute bleue et maigre comme un hareng saur. Et que, pour libérer Damida aussitôt que possible de la suceuse, qu'il fallait l'exorciser, mettre des poignées de gros sel autour de la maison, allumer des bougies et faire des fumées d'encens.

Huguette toujours éreintée, ne pensait qu'à aller faire la purgée-d'yeux (sieste) réparatrice qui apaisait sa peur d'être incinérée vivante sous les manman-marmites de son lieu de travail. Elle lui lâcha sans ambage, qu'elle n'avait qu'à s'en occuper et s'interna à double tour dans sa chambre à coucher.

Une semaine durant, Damida eut droit à la vigilance cérémonielle d'Amélia Totoblo, sans compter les voisins-voisines ameutés par ce curieux remue-ménage. À la brunette, aussitôt le soleil couché blip! elle était au lit, gardée à vue toute la nuit, portes closes, la couche entourée d'un paquet de croix de toutes dimensions et d'un cercle de gros sels occupé par des signes hermétiques tracés à la craie blanche, duquel s'érigeaient une ribambelle de chandelles allumées. Amélia en transe, secouait sempiternellement une branche de rameau qu'elle trempait dans de l'eau bénie en scandant: "Vyé soukouyan, lésé timoun-la! Vyé soukouyan, alé sousé manman-w! (Vieux soucougnan, laisse l'enfant! Vieux soucougnan, va sucer ta maman!")

Épouvantée par ces insolites conjurations, ces menées subversives et tous ces agissements plus que saugrenus, Damida finit par se croire vraiment sucée, car malgré sa terreur, jamais au grand jamais elle n'avoua que les marques de succion venaient de la règle en fer et que la vraie suceuse était Mademoiselle Bodari.

Mounes (gens) de la cour, ne dormez pas! Écoutez ça!

Le plus cocasse est que c'est la maîtresse qui fit appeler la mère de Damida. Celle-ci se faisait un devoir de ne pas répondre aux invitations des maîtres et maîtresses d'école. Elle abominait les réunions de parents d'élèves. Ces rencontres l'intimidaient. Les véritables observations sur la tenue de ses enfants lui rappelaient qu'elle ne suffisait pas à leur éducation, ce qui lui était insupportables. La moindre remarque sur sa progéniture tel que "Timoun a-w malélivé (Ton enfant est mal éduqué.)" la gorgeait d'une fureur non-matée qui envenimait ses culpabilités rejetées sur l'intrus ou le plus souvent l'intruse qui avait osé proférer l'assertion. Toutes les fois qu'elle appelait son mari à l'aide pour ses propres enfants, tout ce que celui-ci savait faire était de toucher sa braguette et dénouer sa ceinture, même s'il les battait moins que sa belle-fille. Butée contre les convocations, en nul temps Huguette n'avait mis les pieds dans une école. Elle dépêcha donc son bon ami et conseiller: M. Éric Liton de Bonsiro en visite à la Belle-Terre.

M. Éric était un beau et charmant mulâtre à la faconde simple et directe dans un parler français sans coup de roche (sans faute), au geste prompt, déluré, futé, familial et très ambitieux. Il racontait qu'il avait été pêcheur et fêtait ses trente-trois ans, l'âge du Christ, quand durant une nuit en pleine mer, alors qu'il péchait burgaus (somnolait) dans son canot un mercredi gros-la-lune, une splendide créature ailée, imprégnée de lumière, coiffée de longs cheveux lisses bleutés, les jambes moulées dans une queue de poisson endiamantée, l'enlaça tendrement et le berça en psalmodiant "Yémaya là, Yémaya là, Yémaya là. N´aie plus peur, tu es mon ti-garçon..." Puis elle lui ordonna de jeter ses filets dans la mer. Émerveillé et envoûté, l´homme de Bonsiro s'était réveillé chez lui dans sa couche au petit jour, oint d'un don magique: guérisseur de l´âme. Depuis, sans regret il remplaça irrévocablement son occupation piscatorienne par celle de gadèd zafè, "gardeur ou regardeur d'affaire" (psychologue naturel et traditionnel des Antilles) et quimboiseur (guérisseur par les plantes) aussi appelés menti-menteur et sorcier.

– L'abbé Monéro, le prêtre de Bonsiro m'a excommunié et m'a appelé menti-menteur, sorcier, et mistinè (charlatan), mais j'ai lu dans un livre, qu'il n'y avait pas plus esclavagiste que l'Épiscopat. Le plus grand criminel était Père Labat, un missionnaire Français. Dans ce temps-là, on charroyait des esclaves par pluralité sur des bateaux qu'on appelait négriers. Un régiment d'esclaves dans toutes les encoignures des cales de bateaux attrapaient toutes les qualités de maladies qui existaient et mouraient comme des mouches flytoxées. Ce Père Labat-là racontait qu'après avoir fait lui-même fouetté jusqu'au sang ses propres esclaves soi-disant sorciers, il arrosait leurs blessures avec une sauce de piment et citron. Quand ils avaient bien gueulés et hélés, pour calmer leurs douleurs, par "charité", cet échappé de bagne, ce mauvais sujet, pardon mon Dieu! leurs donnait à boire du quinquina séché et écrasé dans de l'eau de mer en leur disant "Tiens! Bois!" devenu "Kyenb! Bwa!" en créole kyenbwa (quimbois) qui veut dire aujourd'hui aussi sorcellerie, car auparavant les guérisseurs étaient considérés sorciers, proférait l'ex-pêcheur1.

Brandissant un livre recouvert d´une jaquette tiré de sa serviette, il continuait.

– Voilà ce qu´il a écrit sur les nègres: “En outre, ce sont tous des sorciers. Ils sont vains et glorieux. Ils aiment avec excès la parure et la danse. Ils sont bavards. Et surtout "leur complexion chaude les rend fort adonnés aux femmes" Un abbé qui pense comme ça, c´est un vilain. C'est lui le sorcier et l'hypocrite. Pas moi. Moi je suis un guérisseur de l'âme des enfants que ces maudits ont esquintés. Nous croyons que le diable est plus fort que le bon Dieu à cause de ces scélérats qui nous diabolisaient, vu que l'esclavage a duré trop longtemps. Des gens comme le Père Labat ont allumé du feu (fait du mal) sur mes ancêtres, moi je leur donne la lumière, déclamait le menti-menteur en se frappant le plexus de sa main droite ouverte dont l´annulaire portait une chevalière en or gravée de ses initiales.

Marc le sacristain de la chapelle du Bas-de-Source qui veillait, n´avait pas manqué de répliquer:

– Menti a mantè! (Mensonges) Ce n'est pas vrai! On voit que vous êtes un vrai menti-menteur, un escroc de première catégorie et par-dessus le marché un ignorant Éric. Voilà ce que vous êtes! Vous faites croire aux gens que vous les sauvez alors que vous n´êtes qu´un nid de mensonges. Tout ce qui vous interesse c´est de l´argent facile. Voleur!  Je vous rappelle que le Révérend Père Labat est le fondateur de l'exploitation sucrière. C'est lui qui a concocté la tafia, raffiné le rhum et développé l'industrie de la canne à sucre qui donne un bon pal (aide) à notre économie aujourd'hui. C'est encore lui qui a courageusement défendu la Guadeloupe quand l'île était attaquée par les Anglais en 1704. Allez apprendre votre histoire au lieu de malparler le Révérend imbécile que vous êtes! Malhonnête! Détestez le chien mais donnez lui son os. Le Père Labat était un grand homme. C'est d'ailleurs grâce à ses frais historiques (sa chronique) qu´on sait ce qui s´est passé dans les Antilles et c´est aussi grâce à sa potion que beaucoup d'esclaves ont survécu. Vous êtes un nègre ingrat Éric. Un vieux nègre ignare.

– Quant à vous Marc, vous marchez en arrière comme un touloulou (gécarcin), non seulement vous montrez votre loli (verge) aux petits enfants, mais vous buvez en cachette tout le vin de l'église directement du calice. Vous n'êtes ni un faîte de chapeau ni un faîte de montagne ni un faîte de case ni un faîte de pied-bois et pas du tout une fête nationale. Vous êtes tout simplement un faites-chier. Vous me traitez d´ingrat et d´ignorant? Songez bien que c'est grâce à moi que vous n'êtes pas en prison alors fermez votre gueule si vous ne voulez pas que j'ouvre votre dossier. Vous êtes prévenu, lui avait calmement rétorqué  chouk pour chouk (du tac au tac) le gardeur d'affaires sans blaguer.

Depuis, Marc s´était punaisé à la sacristie: juste à côté de la Chapelle du Bas-de-Source, il avait bâti une petite caloge (clapier) où il logeait en permanence et apprenait le latin. Damida l´avait eu au catéchisme dans un autre chapitre. Historia fœda (une vilaine histoire).

Le gadèd´zafè, le gardeur ou regardeur d´affaires (le voyant) Octabert Galligan 

En tout cas, qu´on se le dise, les draculas Guadakériens ne suçaient pas du tout le sang du protégé de la manman de l'eau (sirène). Même pas un petit tac (une once). Inversement ils lui donnaient de l'argent, beaucoup d'argent, des poules, des coqs, des cabris, des cochons, des bijoux, des quartiers de viande, des plants de banane, des lapins, des chiens, des crapeaux, des chats, des pigeons, des ouassous, des voitures, des bœufs et même des morceaux de terrains... et lui, il prenait tout et les redistribuait à qui il voulait. Il aimait entretenir toute sa famille et ses amis en vrai chef de village.

– Quand on a un don, il faut être donnant. C'est la loi des grands esprits. C'est comme ça, répétait-il.

Évidemment, ses bienfaits prenaient une ampleur dans l'imagination populaire, notamment des clubs de football de toutes les communes de la région. Damida ne savait pas exactement sa recette, mais elle avait percé celle du gardeur-d'affaires de l'équipe du club populaire de football Coquerico. Rouge et vert étaient les couleurs du coq la caroncule bien dressée qui ornait le drapeau du club. Louis-Victor, l'étoile de Coquerico, le fils de sa Tante Rietta, son grand-cousin footballeur-menuisier-charpentier-ébéniste, à l'instar d'un matou qui possède encore sa queue, mangeait, dormait, allait et venait empreint d'une loi de silence qui l'avait fait surnommé Péla. Son talent de shooter l'édifiait coqueluche des poulettes. Péla interceptait, taclait, dégageait, bloquait, passait, démarquait, lobait, marquait, talonnait, feintait, dribblait et tirait... but! cependant que le gardien de but de l'équipe adversaire plongeait dans le sens contraire du ballon. Son coup était franc. "Cocorico!" hurlait le public au champ.

Damida fervent des joueurs de Coquerico se conjouissait de leurs victoires et niait leurs défaites souvent contre leur adversaire l'équipe Éclair de Beauplateau. Elle était si fanatique de Coquerico qu'elle connaissait même leur menti-menteur, M. Octabert Galligan. Toujours fureteuse, protégée par l'ombre d'un bouquet de broussailles à piquants près du stade, quelle ne fût sa stupeur de découvrir que les victoires de l'équipe Coquerico n'étaient pas seulement dues à la discipline rigoureuse de l'entraînement des joueurs, à l'encouragement chaleureux des supporteurs et à la chance qui veut qu'on soit attentif, rapide et alerte en toutes positions, mais aussi à l'aide d'un zèbre grand et musclé comme Tarzan, vêtu en permanence d'un tricot de peau rayé noir et blanc et d'un pantalon en grosse toile noire, retenu par une ceinture en coquillage, la tête chauve sertie en pirate d'un bandeau demi-deuil du mercredi des Cendres.

Octabert un bougre rouge, vieux beau de la commune de Fétouba, le front bombé comme le dos d´une louche, la figure en banane blette, l'intérieur de l'avant-bras gauche tatoué d'un crocodile la gueule béante, le lobe de ses oreilles percé par des gros brillants, une grosse chaîne forçat autour de son cou de Minautore et ses deux poignets alourdis de gourmettes épaisses en or vingt-quatre carats, se distinguait encore par des dents tellement en pagaille qu'on aurait dit l'escalier de l'enfer. On, le nom absent qui sait tout, disait que mêmement que Maître Défan qui ne défendait pas la langue créole, il avait été en Afrique, plus précisément au Dahomée et contrairement à l'homme de loi qui était revenu cachectique par la fièvre africaine, il était revenu bien musclé et fiévreux de guider les Guadakériens vers la réalisation de tous leurs désirs contre argent comptant. Il s'entretenait avec l'entraîneur du Club M. Henri Vito dit Zoizo parce que pendant les matchs, celui-ci sifflotait constamment à l'éteinte de sa nervosité allumée par les flashs de la défaite:

– Cette fois mon vieux, ce sera raide car Éclair de Beauplateau revient d'une tournée dans les Caraïbes où ils ont gagné tous les matchs.

– Mais, pour toi Octabert, rien n'est impossible, répliqua l'entraîneur. Coquerico doit absolument gagner.

– D'accord, mais il me faut redoubler le travail et les choses ne sont pas faciles à se procurer en ce moment. Tout est devenu rare et tellement cher mon vieux. Je suis obligé de te révéler ma préparation car j'ai besoin d'aide pour trouver tout ce dont j'ai besoin pour le travail.

– Nous voulons à tout prix cette victoire Octabert et nous ferons tout ce qu'il faut. Coquerico doit être imbattable.

– Bon, j'ai la liste. Écoute! Il me faut un coq blanc éclôt un mercredi gros-la-lune. Trois gouttes de sueur et trois gouttelettes de joui (sperme) de chaque joueur recueillis après un match gagnant. Onze plumes d'un pigeon voyageur entre Beauplateau et Belle-Terre. Des restes d'une bougie allumée sur la tombe de quelqu'un mort le jour d'un match gagnant. Un petit cercueil fait par un menuisier vierge. Trois pincées de précipité rouge et blanc, mais cela, mon pharmacien s'en occupe et un petit sac dans la peau d'un cabri sacrifié un jour de Pâques. Ce n´est pas sorcier de me trouver tout cela et cela te coûtera... attend! Et je te fais un bon prix parce que c'est toi hein Zoizo! Parce que tu es mon ami ce sera cinq cent mille (d'anciens francs des années 60). C'est raisonnable.

– ...

– Puis, après mon travail, tous les joueurs doivent m'accompagner pour enterrer ma composition au milieu du terrain un vendredi de pleine lune.

C'est là que Zoizo aurait dû siffler, mais au contraire la nature des composants et la somme lui coupèrent le sifflet tel un vlan! dans les gencives. Éplapourdi, la suée au front brillant comme l'hernie d'un fou, les battoirs froids comme le nez d'un chien, ses épaules brusquement affaissées, son dos automatiquement courbé, ses yeux s'éteignirent clac! Octabert lui, au contraire s'était redressé dans un aura illuminé à la vision du paquet d'argent qu'il allait recevoir cash. Sa future auto de sport vrombissait déjà furieusement sur son écran intérieur tandis que Zoizo se secouait la tête avant de répliquer soucieux.

– Octabert, tu as plus de dents qu'un chrétien et tu es vorace comme un cimetière, mais tu auras tout ce que tu demandes et Coquerico a intérêt à gagner sinon...

Le sorcier fit comme un corniaud qui mangeait des carrés de menthe: il plissa les lèvres et exhiba ses dents scala-santa.

L'ahurissement de Zoizo avait grandement amusé Damida abritée par la broussée. Elle dut se museler à l´aide de ses deux mains pour étouffer ses éclats de rire, au risque de s'exposer.

Le quimboiseur (guérisseur) de Bonsiro

Les Guadakériens à cette belle époque étant naturellement et tout bonnement sportifs, les activités physiques faisaient tilili (pullulaient). Les automobiles ne fourmillant pas, la marche était naturelle. L'escrime était au bâton. Les voisins en désaccord pratiquaient la boxe. Le sauvé-vaillant, le chatou et le koévalin étaient des danses de lutte pratiquées dans les veillées. La natation était obligatoire dans l'espoir d'atteindre la ligne droite mystérieuse qu´est l´ horizon. Les cyclistes n'avaient pas de vélodrome. Leurs sprints s´exerçaient dans les mornes. Les grimpeurs sans gaule étaient obligés d'escalader les arbres pour cueillir les fruits. Les moteurs étaient rares, les pêcheurs ramaient leur canot. Damida assistait l'entrée des bals qu'organisaient les clubs Racine, Crête-noire et bien sûr Coquerico de la Belle-Terre, au cours desquels on liait connaissance avec des joueurs de ping-pong , de handball, de volley-ball, des basketteurs, des sauteurs, des lanceurs, bien sûr des footballeurs, des coureurs. Ah! Pour coureurs, ils étaient tous coureurs.

Le très désiré devin de Bonsiro ne courait pas, on lui courait après. Certains capitaines d'équipe de football, l'appelaient à la rescousse, afin que leur équipe marque le plus de buts possible. On le surnommait "mètagòl" (maître de buts). Il faisait aussi la pluie et le beau temps parmi le personnel des hôpitaux et la gent administrative qui ne voulaient pas perdre leur place au soleil. Et M. Éric par ci et M. Éric par là.

– Qu'est-ce qu'il est fort! C'est grâce à lui que le directeur de l'hôpital ne m'a pas mis à la porte. Et maintenant personne ne me sortira de là. C'est moi qui vous dis ça. M. Éric est mon syndicat (mon ami), avait avoué Amie Laurencette la commère d'Huguette, la manman de Damida.

Le magicien avait l'art de bilocation, de disparaître et d'apparaître fap! sans crier gare. Amie Sita sa fiancée, une belle câpresse aux longs cheveux lissés à l'huile de carapate, tressés de cadenettes, gracieuse, gaie et pleine d'humour séjournait souvent dans la famille de Damida. Son adresse était de faire semblant de ne pas remarquer l'engouement intéressé des femmes pour son promis qu'elle affectionnait profondément sans se poser de questions, dans la fidélité et la confiance des jeunes femmes bien éduquées de la campagne Guadakérienne. Leurs villégiatures chez Huguette ramenaient la bonne entente au foyer. Le beau-père de Damida qui craignait M. Éric comme le diable a peur de l'eau béni, lui faisait belle figure et rangeait son fameux fouet .

La distinction du menti-menteur se puisait dans son art de vivre. À la prière d'Huguette d'aller voir la maîtresse, M. Éric le visage lissement rasé en égard des baisers féminins qu'il recevait, parfumé d'une eau de lavande qu'il disait être un sent-bon qui procure l'harmonie,  ses bésicles en or bien à cheval sur son nez, très élégant dans son costume trois pièces bleu marine couleur sérieuse, bien taillé par Guillaume Saglisse dit Vétina le tailleur pour hommes et femmes de la ville, sa cravate fleurdelysée impeccablement nouée autour du col de sa chemise immaculée assortie à ses dents, son feutre havane légèrement posé sur une oreille, ses chaussures vernies noires fabriquées sur mesure par le cordonnier Papa Henri bien lacées et sa serviette en peau de vache qui ne le quittait pas tenue fermement à la main, il sublimait l'élégance et la courtoisie. "L'habit ne fait pas le moine, mais il différencie le moine et le pêcheur”, était une de ses devises. Il se glissa sur la banquette arrière de son Aronde Simca 9 conduite par son chauffeur Camille, le frère de sa fiancée Amie Sita. Sans passer par la directrice, il se présenta directement dans la classe. La maîtresse, les formes ondoyantes assorties à d'alliciants gros tétés dans sa robe fleurie à bretelles, toute surprise, examina de front le représentant paternel des pieds à la tête et soupira.

– Enfin un parent de Marcellin.

– Oui! Bonjour! C'est bien au sujet de Damida Marcellin. Hmm! Votre teint de pêche est d'une délicatesse... Mademoiselle?

– Oui! Mademoiselle. Je ne suis pas mariée. Êtes-vous le père de Marcellin? susurra la Bodari les paupières nitictantes.

– Oh! Non mademoiselle! s'empressa le dandy. Je suis aussi libre que vous. Je suis tout simplement un grand ami de la famille et je ne regrette pas du tout de remplacer la mère de Damida à qui je rends ce petit service qui m'est à vous voir, un grand plaisir Mademoiselle.

– Oh! Marcellin n'est pas bien méchante.

– Je disais que la délicatesse de votre teint m'incite au toucher... avec les yeux bien sûr. Me revoilà tout petit. Je retournerais volontiers sur les bancs uniquement pour me cacher sous votre table et sentir votre peau.

– Hi, hi, hi, minaudait la Bodari, tandis que le fringant ajustait ses lunettes cerclés d'or pour mieux centrer ses yeux pétillants de séduction dardés sur la coquette.

Ils conversèrent longtemps de tout et de rien, jusqu'à oublier les prétendus méfaits de la petite fille. Le magnétisme du Merlin de Guadakéra eût son bel effet. À partir de ce jour, jamais la jeune enseignante n´utilisa sa règle dans la classe et M. Éric rentrait dans l´histoire de Damida.

Pawòl ka méné pawòl (La parole amène la parole). La parole créole est souvent héroïcomique,  parfois bienveillante, guérissante, édulcorante, souvent vivante, coupante, blessante, salée, superbe, fougueuse et toujours prolifique. Elle peut tourner telle une toupie fouettée ou intrépide, se verser abondamment et énergiquement en cascades, continuer en rapides sans rafting, sans gilet de sauvetage et sans déviation puis subitement virer de bord ex abrupto à contre courant. Puis dans un revirement, reprendre le flot, poursuivre son sujet jusqu´à se tarir pour miraculeusement se renouveller,  prendre son envol,  atterrir, se tapir en catimini, s´installer, se chuchoter, rejaillir, s´apaiser, mourir, renaître, se reproduire, se perpétuer , s´éterniser...

Le menti-menteur

C'est ainsi que le sémillant thaumaturge mérite son sacré chapitre. Les grands détails de ses activités se multipliaient tout simplement par son avidité de nourrir sa famille, sa confiance en lui-même, sa connaissance au service des autres et sa débrouillardise pas du tout un péché, qu'il gérait en bénédiction. Sur la véranda qui prolongeait sa petite maison en bois, au pipiri chantant (l´aube) s'entassait presque chaque jour sur des longs bancs une pile de personnes inquiets comme une soupe salée. Contrairement à tous ceux et celles qui rembourraient les enfants curieux par leur expression d´ignare " Arrête de poser des questions!" le vaticinateur activé par un esprit patient et diligent étanchait la soif de connaissance de la fillette. Lors de ses séjours à Bonsiro, elle épiait  son heure de répit, puis se glissait subrepticement comme une poule dans sa pièce de travail et se perchait sur le banc de l'antre, jouxté au fauteuil rembourré sur lequel figurait en broderie de fil de soie nacarat "Éric Liton de Bonsiro". À gauche du siège, une petite table ronde plantée en piquet portait quelques livres jaunis par le temporel, une assiette en porcelaine blanche nuagée de bougies fondues,  une pointe Bic bleu et des cahiers à feuilles quadrillées et bourrées de notes, de chiffres et d´apostilles. Dans une cavité du mur enfoncée en grotte, logeait la statue imposante de bonne taille d'une sacrée belle manmandlo (sirène) noire moreau laquée, gravide d'un globe terrestre bleu indigo, les tété (seins) aussi pointus que ses boucles d'oreilles tété-négress en or. Ses mains remplacées par une kyrielle de doigts tentaculaires ornés de bagues flavescentes se posaient en protection sur son ventre planétaire. Callipyge, ses fesses en mangues pommes prolongées par une longue queue de poisson en éventail mosaïque de pierres multicolores semi-précieuses du Brésil se retournait à sa gauche vers son visage. Une gaîté vive parfumée de quiétude s'émanait de ses mirettes qui fixaient toutes les directions. Encouragée par le consentement muet du coryphée et baignée dans cette atmosphère mythique, la hardiesse de la gamine émergeait. Jamais M. Éric ne l'avait chassé de son cabinet aromatisé de bottes de cannelle, une épice qui selon lui attirait l'argent:

– Pourquoi la maîtresse ne me donne plus de coups depuis que vous l'avez visité M. Éric? chuchotait Damida.

– C'est parce que mon intention était de lui faire comprendre que tu as quelqu'un qui s'occupe de toi.

– Qu'est-ce que l'intention?

– L'intention est le pourquoi tu fais les choses. Pourquoi par exemple tu me demandes toutes ces questions? Quelle est ton intention?

Damida se mettait l'index dans la bouche, regardait sans voir les angelots bleus peints au plafond et susurrait:

– Parce que je veux comprendre pourquoi les gens croient que tu peux régler leurs problèmes.

M. Éric esquissait un large sourire d´autosatisfaction.

Intriguée par le conseil à une dame de mettre un bouquet de roses blanches dans un carrefour, la petite profitait pour lui poser lui dépliait le questionnaire qui débordait de sa cervelle.

– Pourquoi vous avez demandé à la dame de poser des roses blanches dans un quatre-chemins et pas dans un vase M. Éric?

En souriant, le bien-disant redressait sa cravate:

– Magie veut dire pouvoir Damida et d'abord pour un, le pouvoir sur soi-même. Le pouvoir c'est être persuadé de la puissance de son esprit et comme il est invisible, ce n'est pas facile. Les gens ont besoin de voir pour croire. Pour comprendre ça il ne faut pas confondre l´intelligence et l´instruction. L´instruction c´est ce qu´on apprends pour donner de la force à  l´esprit. L'intelligence est la conscience de la qualité de l´intention. Certains sont instruits mais pas intelligents et d´autres sont intelligents mais n´ont pas l´instruction. Le cabri chie des pillules, il n´est pas docteur pour autant. Cette dame est souffrante, elle a déjà vu au moins cinq médecins qui ne lui ont trouvé aucune maladie. Elle veut que je la guérisse. En fait, sa mère est morte il n'y a pas longtemps. Les culpabilités de n'avoir pas assez fait pour sa mère font des nœuds dans son corps et l´affaiblissent. Elle a fait tout ce qu´elle a pu, mais elle ne le sait pas parce qu´il y a des jours où on peut faire plus et d´autres ou on peut faire moins. Lorsqu'elle va prendre conscience de ça, elle se guérira tout naturellement. Laisse-moi te dire ça Damida. La culpabilité est un moyen de se punir de ne pas faire ce que les autres attendent de nous. Ce remords accouche le regret et se nourrit de ce qui est passé. Il est impossible de changer ce qui est passé puisque c'est l'imparfait. Seul le présent est parfait. Tu peux te repentir, mais pas regretter. Se repentir c´est se promettre de surveiller son jeu (être attentif). Regretter est s'enraciner à ses fautes pour se punir. Cette punition fait faire du mauvais sang et le sang empoisonné donne toutes sortes de douleurs.

– Parfois je fais des bêtises et je regrette.

–  Tu peux regretter, mais pas planter et arroser les regrets.C'est important de se pardonner, puisque les fautes qu'on fait, sont des bonnes ou des mauvaises décisions qu'on a pris pour apprendre à vivre. "Fo pa blanmé on kontrayété ( Il ne faut pas blâmer une contrariété )." Tu n'aurais pas appris à marcher si tu n'étais pas tombée. C'est trop simple pour être compris par les grandes personnes qui se compliquent inutilement la vie. Ka-w vlé? Que faire?

– Qu'est-ce que pardonner M. Éric? Est-ce que c'est donner quelque chose?

– Écoute pour entendre Damida! Pardonner est tout un chapitre mais rappelle toi tout simplement que pardonner c'est  être sûr et certain que quels que soient tes décatements, tu ne peux pas changer ni les gens ni le passé, alors pourquoi se choubouler l´esprit ( se faire du souci ). On dit que pardon ne guérit pas de bosse, mais si tu gardes quelqu´un sur ton cœur, et pas dans ton cœur, la bosse s´infecte et devient plus lourde à porter et tu attrapes gros cœur. Quand tu as de la rancune, la première personne qui souffre c´est toi. Ce n´est pas intelligent. Pourquoi se faire du mal? Observe bien! Celui ou celle qui se maltraite, te maltraite. Celui ou celle qui se fait du bien est source de bonheur. Pour pardonner il faut déjà se connaître.

– Je me connais moi. Je suis Damida.

– Tu es plus que Damida ma petite fille. Combien de gens se connaissent eux-mêmes? S'ils se connaissaient ils sauraient qu'ils ont le même pouvoir que moi et ils ne viendraient pas me voir.

Que signifiait plus que Damida? Damida les sourcils froncés toujours perchée, l´observait sans broncher. Comme s´il avait deviné sa question l´homme de Bonsiro répliquait.

– Toi, tu es une enfant. Tu n´as pas de passé donc cela peut être difficile à comprendre. L'autre jour,  à un client qui me demandait de lui faire un travail pour que sa boutique marche, j´ai dit que si le bon Dieu lui apparaissait pap! et lui assurait-pas-peut-être (sûr et certain) "Tu as le même pouvoir que moi." qu'est-ce qu'il aurait fait? Il a eu tellement peur le pauvre diable qu'il a sauté de sa chaise et a chié à la course. Heureusement qu'il m'avait déjà payé mon travail comptant. Accepter le pouvoir demande un lot de travail puisque c'est faire attention à jeu continué (tout le temps) sans juger. Atansyon pa kapon (Prudence n'est pas lâcheté). Je passe mon temps à faire attention à ce que je dis et même à ce que je pense justement parce que chaque parole plante des graines dans le cerveau de mes clients et quand elles poussent c´est la réussite du travail. Ils croient me manœuvrer à faire leur travail, je les guide à faire leur travail eux-mêmes. Je ne charrie pas l'eau dans un panier et je ne fais pas saigner les roches. Allez leur dire que je ne peux pas pardonner pour eux ou que je ne peux pas leur donner ce que eux-mêmes ne se donnent pas. Est-ce que tu crois qu'ils m'auraient payé pour ça? Non! En vérité, l'homme préfère être couillonné que d'entendre la vérité. C'est comme ça. Je ne suis ni abruti ni un saint ni un grand grec ni Jésus. Ce bougre est venu sur terre dire à tout le monde "Aimez votre prochain etc." et sa récompense? On l'a cloué sur un symbole sacré. Si tu étais lui, tu serais revenue toi Damida? Si Jésus est noir, ce n´est pas couillon qui l´a rendu noir.

Que signifiait plus que Damida? Damida les sourcils froncés toujours perchée, l´observait sans broncher. Comme s´il avait deviné sa question l´homme de Bonsiro répliquait.

La fillette était sidérée et ne répondit point. Elle se figurait le débat si sa bonne-manman membre du mouvement religieux adventiste du septième jour entendait cela. Aïe! Quel débat dans barbe a caca (expression créole)!

– Pour ma part, je suis un porteur de manœuvre professionnel. C'est ce que je fais. Je porte manœuvre (je me débrouille). Puisque je soigne l'âme, je fais des traitements parce que plus souvent que rarement un jour ne suffit pas à persuader quelqu'un que son désir est exaucé au moment où elle fourre sa décision dans sa volonté. Pour traiter notre partie invisible, il faut calculer comment la conscience fait fort. Et l'homme à l'heure qu'il est, a perdu sa conscience et n'a pas le temps de la retrouver. Il est pressé, trop pressé pour être responsable de ce qu'il fait. Pour mon compte, je n'ai pas fait beaucoup d'école, mais je sais lire alors je lis, c'est tout. Et je lis les livres des blancs. Si je suis un menti-menteur alors tous ces gens qui écrivent sont encore des plus grands menteurs que moi peut-être parce que la vérité est enfouie dans tous les mensonges. Même si tu ne me comprends pas aujourd'hui, cela viendra un jour Damida. Chaque fleur fleurit en son temps. Rappelle toi que ces secrets que je te confie vont te rendre seule, parce que tu verras ce que les autres ne veulent pas voir. Cela s'appelle en français la clairvoyance: une vue claire et lucide des choses et il semble que pour bien voir il faut avoir un  bandeau sur ces yeux comme madame Justice.

Damida qui pour une fois qu'on lui répondait, se délectait d'être prise en considération, continuait ses questions:

– Vous êtes docteur M. Éric?

– Non Damida, je ne suis pas docteur-docteur. Je suis docteur des feuilles. J'ai appris tout seul le secret des herbes parce que j'aime les gens plus que les chiens. Je ne suis pas de ces menti-menteurs qui se métamorphosent en chien. Je suis un initié à guérir.

– Qu'est-ce que initié veut dire?

– Initier une personne est le guider à faire ce qu'il aime le plus. J'aime guérir l'âme des gens. C'est mon don. Le don est d'être persuadé que tout ce dont nous avons besoin est déjà en nous. Il n'y a qu'à le prendre et le donner. Je suis un guérisseur, mais je ne peux pas guérir tout le monde et surtout pas ceux qui ne veulent pas guérir et quelquefois c´est trop tard. Si c'est nécessaire, je conseille à mes clients de voir un docteur en médecine.

– Faire ce qu'on aime? Qu'est-ce que l'amour M. Éric?

– Si j'étais un connaisseur de l'amour, j'aurai eu le bâton d'une fée, mais ne répète pas cela à personne. J'aide des gens à retrouver l'amour, si je dis que je ne suis pas un spécialiste de l'amour, je n'aurai plus de clients. Le retour d´affection comme disent les sorciers blancs, est se faire aimer et désirer par quelqu'un qui ne veut pas de vous. Les gens veulent être aimés, sans avoir à aimer eux-mêmes. Il est plus facile de gagner beaucoup d argent que de se faire aimer de quelqu´un qui ne veut pas de vous. Si on ne s'aime pas au point de vouloir posséder une personne qui ne veut pas de vous c'est qu'on est fou, tòktòk, (aliéné) et irresponsable.

– Mais comment tu peux aider les gens à retrouver l'amour si tu ne sais pas M. Éric?

– Presque toutes les personnes qui viennent me voir, veulent de l´argent ou retrouver l'amour d'un homme ou d'une femme qui les a quitté. Ils sont parfois prêts à tuer pour cela. À force d´avoir des gens qui me paient pour retrouver l´amour, je commence à avoir une idée sur l´amour. Franchement mon enfant, je ne sais pas plus que toi ce qu'est l'amour, mais selon mon calcul, l'Amour c'est de se mettre bien dans notre tête à coco, que nous sommes tous, nous les gens et les choses sur la Terre, nous sommes tous unis par un lien invisible et à travers cette union ce que tu fais aux autres, tu le fais à toi-même. Et quel que soit notre occupation, notre seule mission est d´être conscient de ce lien invisible afin de bien vivre en faisant attention à notre corps et notre esprit jusqu'à la mort et la renaissance. Pour cela il faut du pouvoir. Et le pouvoir je te le répète, c'est tout bonnement être présent tout le temps.

– Mais tout le monde vivant est présent M. Éric.

– Ah non mon enfant!  Si tout le monde était présent il n´y aurait pas autant d´accidents, de guerres, de manque d´amour, de malheureux... Être présent c´est avoir son esprit à la même place que son corps. Et cela commence en respirant de tous ses poumons, en faisant de sa respiration sa meilleure amie. C'est pas plus que cela Damida, mais c´est très difficile pour ceux qui croient que la vie est un bol de tourments. Et ils ont raison et c´est justement à force de raisonner sur les peines de la vie qu´il deviennent fous.

– Et comment on peut faire quelqu'un qui ne nous aime pas, nous aimer M. Eric?

– Cela est arrivé pour beaucoup de mes clients, alors c'est possible. Pour combien de temps, c'est une autre affaire, mais tout est possible pour celui qui croit.

Damida dont le rêve était de se faire aimée par son père biologique qui ne la levait pas de garde quand il la rencontrait dans la rue, reitera sa question.

– Et comment on peut faire quelqu'un qui ne nous aime pas, nous aimer M. Eric?

– Tu es trop curieuse pour ton âge Damida, mais tu es éveillée, je vais te donner le secret d'un travail pour attirer l'amour, mais avant tout, souviens toi que le meilleur moyen d´être aimée est d´aimer tout le monde et tout ce qui est. Aimer n´est pas fréquenter, c´est désirer du bien pour tous et tout autour de toi sans raison. C´est dur parce que quand les gens sont méchants, ils déteignent sur toi. Et pour comprendre ma recette pour attirer l´amour de quelqu´un qui ne t´aime pas, tu dois savoir ce que veut dire symbole, parce que menti-menteur menti-menteur, si je mens il y a une pile d'autres personnes qui sont aussi des grands menteurs diplômés. Pour comprendre le grand mot symbole il faut faire des études à grands grecs, de "la logique de l'imaginaire et de la raison"... des choses comme ça. C'est trop compliqué. Je peux seulement te dire que symbole veut dire une chose coupée en deux: une partie qu'on voit et l'autre qu'on ne voit pas. Quand elles sont rassemblées c'est un symbole. Alors... symbole c'est voir l'invisible dans le visible. Par exemple, tu as vu la coupe entourée d'un serpent devant toutes les pharmacies?

Damida opina.

– C'est le caducée qui est seulement un dessin, mais c´est le symbole de la médecine de France. Lorsqu'il y a deux serpents qui entourent une baguette, c'est le symbole du commerce. Si tu ressens la liberté en regardant attentivement un colibri voler, tu es libre. Si tu vois la beauté et que tu sens la force et puissance cachées de la statue de Yémaya, tu seras puissante toi-même et tu feras des miracles.Tout ce que tu vois, c'est toi-même, parce que... c'est toi qui vois. Est-ce que tu suis?

Non! La fillette ne saisissait pas grand-chose à tout ce charabia symbolique. Elle continuait à réjouir de retenir l'attention de l'enchanteur.

– Donc, à la lune montante, avec de l'argent comptant sans qu'on te rende la monnaie, tu achètes d'abord une pomme-France rouge, la couleur de l'amour. La pomme-France est dans la Bible, le fruit de la connaissance que le serpent donne à Ève . En son milieu, le trou des graines forme une étoile à cinq branches. Alors toujours avec de l'argent comptant...

– Pourquoi de l´argent comptant?

– Pour tomber juste. Le tombé-juste est le symbole d´atteindre son but. Bon. Je disais qu´avec de l´argent comptant, tu te procures un petit bol en cristal. Le cristal est du diamant qui n'est pas mûr. C'est le symbole du commencement, comme un petit bébé dans le ventre de sa manman. Ensuite, tu dois trouver un morceau de parchemin: une peau de mouton préparée spécialement pour l'écriture. Le parchemin a été inventé depuis longtemps-longtemps au IIème siècle avant la naissance de Jésus dans la ville de Pergame en Turquie qui s'appelle aujourd'hui Bergama, par le roi Eumène II. J'ai lu ça dans un vieux livre. Mais cela existe depuis plus longtemps encore. Le parchemin est un peu comme le cuir. C'est de la peau de mouton traitée dans ce temps-là dans la chaux pour décoller les poils de la peau. Ça puait le bouc. Ensuite on le raclait, on le rinçait, on le mettait à sécher et on le ponçait. Quand la peau était prête, on pouvait la conserver au moins mille ans. Bon. Et aussi... un pot de miel. Le miel à présent, chez tous les grands grecs, le miel est le symbole de la sagesse et de la douceur. On l´appelle le sirop des dieux. La rengaine de toutes les femmes est d´avoir un homme doux comme sirop et pareillement certains hommes aspirent à une femme douce comme miel. Le miel est produit par les abeilles qui travaillent en une communauté organisée gouvernée par une reine. Tu as appris cela à l´école. Alors, les abeilles sont le symbole royal et impérial qui veut dire  aussi pouvoir. Donc tu prends la pomme, tu le fouilles, tu enlèves les graines au milieu et tu le mets dans le bol. Tu prends le parchemin, tu marques le nom de l'homme et de la femme l'un sur l'autre, tu le plies en trois morceaux et tu le fourres dans le trou des fesses de la pomme. Tu verses tout le pot de miel sur cette préparation, en sentant bien d´avance l'union de l'homme et la femme que tu veux mettre ensemble-ensemble. Si tu ne le sens pas, ce n´est pas bon. Tout est dans la sensation. Tu gardes le travail jusqu'à la nouvelle lune et tu vas le jeter dans une rivière un vendredi gros-la-lune. Gros-la-lune, parce que la lune pleine pèse 81'000 000'000'000'000'000 de tonnes, qui veut dire un bon un peu de zéros, ce qui enrichit le travail. C´est le secret d´une dame-Bon-Dieu (déesse) de la religion des Yorubas en Afrique.

– Est-ce que ça marche vraiment M. Éric?

– Alors là ma Damida, il faut me payer cher pour le savoir. Très cher même.

– Mais est-ce que tu as fait la pomme cela pour te marier à Amie Sita?

– Je n'ai pas besoin de cela Damida puisque c'est moi qui donne le secret. J´ai peut-être trouvé cela tout seul? Qui sait?

– Tu as dit que c'est le secret d´une dame-Bon-Dieu?

– Oui! Une déesse. En Haïti il y a des déesses mais chez nous à Guadakéra il n´y a pas de déesse, il n´y a que des diablesses avec un pyé à bourik', (une patte d'âne à la place de pied qu´a la diablesse dans la légende antillaise) l'animal considéré à la fois sur l'île comme le plus idiot et... aphrodisiaque. Si ce n´est pas malheureux. Ce que les gens de chez nous appellent des diablesses étaient ces femmes au temps de l´esclavage qui bien habillées pour tromper leurs maîtres et les intendants, traversaient des peines et péripéties à travers les plantations et les bois pour aller apporter à manger aux nègres marrons. On les a remercié en les appelant des diablesses. Ingrats!

– Afro quoi M. Éric?

– Aphro d´Aphrodite, une déesse grecque. Les grands grecs la connaissent bien. Tu as déjà vu une déesse Damida?

– Oui ! Elle est là. C'est la manmandlo (la sirène) à côté de vous.

– Ah! Alors, tu as tout compris ma petite, lui dit le menti-menteur le sourire dans ses yeux espiègles.

– Si le secret pour attirer l´amour marche M. Éric, pourquoi tout le monde ne fait pas cela?

– Parce que ce n'est pas tout dire de le faire. Si une femme fait cela et qu'elle ne veut plus de l'homme, gare à elle. Tout a son revers. On ne doit pas forcer les gens, mais les accepter tels qu´il sont. Un jour tu comprendras Damida. Tu as toi-même le même pouvoir que moi.

Damida qui commençait à se lasser de ne pas tout saisir, se cabra, sauta du banc et s´assit  par terre sur ses talons au pied du fauteuil du menti-menteur, leva la tête et s´enquit dans un murmure:

– Moi M. Érik? J'ai du pouvoir?

– Oui, toi Damida.

– Moi M. Éric?

– C'est ce que je te dis. Je te répète encore une fois, que tu comprendras tout cela au bon moment.

Afin d´éterniser ce moment d´attention Damida reposait sa première question:

– Mais pourquoi vous avez demandé à la dame de poser des roses blanches dans un quatre-chemins et pas dans un vase? J'ai besoin de savoir pourquoi des roses blanches et pas des hibiscus.

Sans contrariété, bien vêtu dans son nouveau costume trois pièces toujours en Tergal cette fois couleur chocolat sans un mauvais pli, le devin se caressait ses cheveux ondulés et s'enfonçait dans son fauteuil aux accoudoirs usés, ses deux mains manucurés jointes sous son menton. À  travers un petit pli sur le front de la fillette, il notait son effort pour assimiler ces informations.

– Ne cherche pas à comprendre Damida. Écoute! La rose est un symbole de l'amour telle la rose mystique des litanies de la Vierge. La rose est belle, elle sent bon! Chez les Indous, la rose cosmique s'appelle Triparasundarî sert et représente la beauté de la perfection de la Femme-Dieu. Deux hommes ont compris le pouvoir de cette fleur: Stanislas de Guaita et Joséphin Péladan qui en 1888 ont fondé en France l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, une école qui enseignait la Kabbale. On dit que je fais sorcier, mais tout est déjà écrit dans les livres des blancs.

– La Kabbale?

– Je ne suis pas du tout expert. Tout ce que je peux te dire c'est que le mot kabbale vient de l'hébreu et veut dire réception.

– Réception de quoi M. Éric?

– La réception est de recevoir la sagesse de la loi secrète de Dieu comme Moïse sur le mont Sinaï.

Damida avait vu le film "Les dix commandements" au cinéma à quatre heures. Les préceptes émis par le bosquet ardent étaient les mêmes qu'étudiait sa bonne-manman au temple adventiste du septième jour, le samedi, jour du sabbat.

– Un Kabbaliste est celui qui est initié (Qibel) à la tradition du Qabalah comme moi je suis initiée par Yémaya. Tout cela pour te dire Damida que la rose est la fleur symbolique qui évoque la coupe de vie universelle. Univers veut dire tout ce qui existe sur Terre et en dehors de la Terre.  Dans toutes les cultures que nous les Guadakériens représentons par notre mélange de races, le quatre-chemins (carrefour) qui forme une croix est un mitan (milieu). La fameuse croix qui montre le centre du monde est aussi un potomitan. La croix bien avant Jésus était le symbole de partager la connaissance. Tout ce qui existe a un esprit et sont des manifestations de vie, même la plus petite roche, le ver de terre, la bête à mille pattes, la petite fleur...

– Oui! Les roses...” s´empressa la fillette qui vivait un suspense.

– Sacrifier ces roses blanches dans un quatre chemins en plein midi, sera pour la dame, une occupation qui l'aidera à se libérer de son chagrin, à la condition qu'elle me croit bien sûr. Puisqu'elle est venue me voir de sa propre volonté, ce ne peut être que le cas ma petite, terminait–il en affranchissant son sourire d´aisance.

Il se frotta les mains.

– Tu sais un paquet de choses M. Éric.

– Je ne sais rien Damida. Rien. Je cherche et tant que je suis chercheur, je ne sais rien.

– Vous avez beaucoup de gens qui viennent vous voir hein M. Éric. Vous êtes plus connu que M. le maire de Belle-Terre.

– J'ai mis le maire de Belle-Terre là où il est là et pas seulement lui, beaucoup d´autres maires et de directeurs. Je n'ai rien d'autre que la conviction de l'existence d'une Force de vie en tous et en tout. Je ne fais pas de miracles. Je ne fais que guider mes visiteurs à faire leur propre miracle. Le miracle est le véyatif (l'attention) à ses propres possibilités. C'est déjà un miracle que je te raconte mes secrets. Le vrai miracle est de voir ce que nous avons, au lieu de calculer ce que nous n'avons pas. Nous sommes tous capables de faire ce que je fais... au cas où je fais quelque chose. On me traite de démon. Je n'ai pas peur de dire que je ne croyais pas en Dieu jusqu'à ce que Yémaya m'ait dit que je suis un symbole de Dieu, Brahma, Jéhovah ou l´Être Suprême ou...  en fait cette puissance n´a pas de nom, mais bon! Je ne suis pas religieux. En vérité, je te le répète, nous sommes tous des symboles divins et mon vrai don c'est d'être là où je suis, même quand je prévois. Tout le reste c´est du cinéma. Et être présent, c'est être conscient de ce que l'on fait, au moment où on le fait, où on le fait, quand on le fait, pourquoi on le fait et à qui on le fait. Est-ce que tu comprends ça?  Bon, j'ai déjà assez parlé. Je dois me taire avant de déparler. Laisse-moi travailler maintenant Damida! J'ai une cliente qui arrive tout à l'heure.
Damida laissa échapper un soupir, mais ne bougeait pas d'un pli.

L'ange de justice

L'ange de justice. © Dagmar Glemme

La vérité

M. Éric oubliant sa présence se parlait cette fois à lui-même comme s'il pensait tout haut.

– Tout mon temps se passe à tout simplement écouter. L'homme ne sait pas s'écouter lui-même à plus forte raison écouter les autres. Rien n'est gratuit. Un don se travaille sans cesse et cela se paye. C'est comme ça. D'accord, mes clients me payent selon leurs possibilités. Andidan vant ka fè nwè (Ventre affamé n'a pas d'yeux). J'ai une famille à nourrir. Les gens respectent de moins en moins le don et le temps précieux des autres. Bèf pa ka di savann mèsi (Le bœuf ne remercie pas son pré.) Certains ont besoin de payer comptant pour faire acte de contrition, autrement ils n'apprécient rien. Ce qui est plus cher est toujours plus estimé. Les gens ne respectent que l´argent. C'est comme ça. Quant à ceux qui veulent me pervertir et veulent faire de moi leur complice. Ils viennent toujours avec un mal que je dois faire à quelqu'un et même tuer. Je les fous à la porte. Yo enmé kyoué mé yo pè mò (Ils aiment tuer, mais ont peur de mourir) L'homme n´est pas mauvais, ce sont ses pensées qui peuvent être de mauvaise qualité. Le pire est le jaloux. Il veut tout à la fois, tout de suite et bien souvent ce qui appartient à son voisin. Ah! Je suis parfois tellement las et dégoûté, mais que faire? À chacun sa croix, ce n´est pas de leur faute.

Voyant qu'Amida était toujours présent, il lui disait avec douceur:

– Allez! Va mon enfant! Amie Sita doit te chercher partout.

Toutes ses herméneutiques dépassaient le discernement de Damida. Elle s'émerveillait plutôt de ce qu´un adulte si important à la communauté lui consacre du temps. Cette amabilité accroissait son assurance perdue dans les rabrouements ramassés lors de ses questions aux adultes. “Tu es trop makrèl (curieuse). Cela ne te regarde pas.” Elle trottinait vers la grande maison où l'attendaient Amie Sita et sa famille.

Le temps passe floup! Quelques années plus tard, dans une période d'examen, Huguette pria à M. Éric de "s'occuper" de sa fille. Une sollicitation qui n'amusait pas du tout Damida. La fameuse succion de soucougnan lui avait imposé pendant une bonne durée, épinglé dans son corsage, un phylactère fourré dans un tissu rouge cousu par Man Dorémon la rebouteuse, une vieille dame qui parlait avec les rats et vous frottait le corps avec de la chandelle ramollie au-dessus d'une bougie blanche, au point que les os déboîtés se remettaient crac! à leur place. À Guadakéra, c'était aussi une vocation. Endoctrinée par Louisette, la nouvelle employée de maison qui avait fait bonne en France et qui lui conseillait de ne pas croire en ces simagrées, elle avait jeté le garde-corps dans la rivière. À part son "Notre Père" et "Je vous salue Marie" appris au catéchisme qu'elle ne comprenait même pas, elle ne se hasardait pas à des incantations plus compliquées que cela. Ses méditations allaient à la "La prière d'un enfant nègre" de Guy Tirolien qui l'attristait et la fatiguait et le psaume 23 qu´elle s´était laissée inculquer par attachement à sa Bonne-manman sœur adventiste.

M. Éric en vérité un bon devin, recommanda à Huguette de laisser sa fille tranquille:

– Laisse la faire ses affaires! Cet enfant-là n'est pas bête. Et puis, entre nous Huguette, il n'y a rien d'autre qui fait réussir un examen que d'étudier, étudier et étudier. Le savoir est le pouvoir et le pouvoir vient des études. J´étudie moi-même la vie à travers mes clients. Damida aime étudier, lire et écrire. Laisse la faire ses affaires! Elle va trouver ce qu'elle cherche. Elle a le même don que moi.

Ne sachant pas ce qu'étaient ses affaires, la prédiction du gardeur d'affaires força Damida à une longue réflexion sur ce que pouvaient être ses propres affaires. Le mystagogue de Bonsiro qui encore une fois semblait avoir ouï ses pensées le doigt sur la bouche lui répondit: 

–  Damida! N´oublie pas ces deux-mots-quatre paroles! Si je suis un menti-menteur, mes mensonges me permettent de dévoiler la vérité. Sois bien avec tout le monde, mais ne compte sur personne d´autre que toi-même pour regarder tes affaires. On me dit “regardeur d´affaires ou gardeur-d'affaires” (sorcier) des autres. Mon secret est que justement je ne garde rien. Je donne tout, c'est le don, mais croix-sur-bouche. Anchwalank-fililik (bouche scellée) dit-il en se zippant les deux lèvres ensemble.

Pa gadé zafè a lé zòt! Sa ki pa ta'w pa zafè a'w! Gadé ta'w vou menm! Pa lésé pon moun gadé zafè a-w pou manjé lajan a-w! Ou tann? (Ne garde pas les affaires des autres. Ce qui ne t'appartient pas ne te concerne pas!  Ne laisse quiconque regarder tes affaires pour manger ton argent! Tu as entendu?), déclarait Tantante Gilda l'esprit bien en place.

 

L´esprit est là

Abracadabra ! L'Esprit est là !
Pouvoir de la LOA
Sagesse de Legba.
Présence de Bouddha
Ô forces du mantra !
Bénit soit le Sabbat
Solve Coagula !
Du Soufisme à la Kaaba
La Créatrice est Fatima.
Abracadabra ! L'Esprit est là !
Magie de la Sûtra
Énergie de Brahma.
Rituel de Macumba
Transe de la Samba.
Les Vikings dansent à Mora
À l'honneur de Freya.
Le Chamane est l'Anima
Donner la vie est Amilka.
Abracadabra ! L'Esprit est là !
Le pape prie Maria
À la messe de Roma.
Gandhi est Mahatma
Ô peuple du Nirvana !
La Règle et le Compas
Nous guident pas à pas.
Abracabra ! L'Esprit est là !
Banzaï est à WA
Planète Ikebana.
À flot coule la tafia
Emprise du Gwo KA.
Éveil de l'Alpha
Repos de l'Oméga.

Abracadabra ! L'Esprit est là !
Ne cherche pas au-delà
IL EST LÀ...
TOUT EN TOI...

©Maxette Olsson

Bibliographie :

  • CONDÉ Maryse, La civilisation du Bossale - Réflexions sur la littérature orale de laGuadeloupe et de la Martinique L'harmattan 1978.
     
  • MIGEREL (Hélène), La migration des zombis-Survivances de la magie antillaise en France, 1987, éditions Caribéennes.
     
  • CONFIANT (Raphaël), Mémwè an fonséyè (ou les 90 pouvoirs d’un mort),  Presses Universitaires Créoles (GEREC-F)/Ibis Rouge.
     
  • DAVIS (Wade), Vodou !-Un chercheur américain dévoile le secret des «Faiseurs de Zombis», 1985, Presses de la Cité.
     
  • LABAT Jean-Baptiste (R. P.), Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique Editions Désormeaux.
     
  • CONFIANT (Raphaël)  Djab-la adan kilti kréyol la - kapeskreyol.potomitan.
     
  • GREENE (Robert), The 48 Laws of POWER  A JOOST  ELFFERS BOOK.
     
  • KRISHNAMURTI, Se libérer du connu Stock+plus.
     
  • SHURÉ  (Edouard), Les grands initiés  Presses pocket.
     
  • GHEERBRANT (Alain),  CHEVALIER (Jean), Dictionnaire des symboles - Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres.
     
  • DUCHESNES (Alain) et  LEGUAY (Thierry) Dictionnaire des mots perdus - l´obsolète Éditions Le souffle des mots.
     
  • PRELLIER (Thierry),  Petit dictionnaire des mots rares Livre de Poche.
       
  • SÉDIR Fragments,  Bibliothèques des amitiés spirituelles.
     
  • 1954 The Upanishads Penguin Classics.
      
  • TOLLE (Eckhart), THE NEW EARTH audiobook on cd
     
  • Dictionnaire CRÉOLE-FRANÇAIS de Ralph Ludwig. Danièle Montbrand, Hector Poullet et Sylviane Telchid.

Note

  1. L'origine du terme "quimbois" proposée par certains intellectuels ne trouve pas écho auprès de Tony Mardaye  qui émet l'hypothèse: Exú, déité d'origine africaine symbolisant  les principes de multiplication et de transformation, faisant l'objet d'un culte maléfique appelé Quimbanda, magie noire proche du quimbois antillais. C’est une divinité maléfique, le diable des chrétien, le Mapoia des Caraïbes, il est accompagné de nombreux esprits malins. Les offrandes qui lui sont destinées sont généralement des carcasses calcinées d'animaux. Les adeptes de la Macumba se retrouvent aujourd'hui à travers toute l'échelle sociale au Brésil. Leur signe de reconnaissance est une amulette représentant un poing fermé laissant dépasser le pouce entre l'index et le majeur.