L'énigme du zombi, du vodou, du poto mitan et de l'amitié

Les aventures de Damida, la petite créole

ou
Dieu est Maîtresse-Femme Créole

Maxette Olsson

legba
Legba par St.Pierre Delerme © Carrie Art Collection


L'Haïtien

Il était une fois, les après-midi du jeudi, jour de repos scolaire dans les années 1950 où la candeur culminait au royaume de l'enfance, l'avidité de connaissance des enfants de la cour créole sur l'île inconnu sur la carte du monde, s'abreuvait de tous les mythes et légendes, ces récits fabuleux qui allaitent généreusement le merveilleux de l'imaginaire.

“- Krik!” annonçait le poète et conteur Haïtien Jean-Daniel Alexis.

- Krak! hélaient les enfants autour de lui de toute la force de leurs poumons.

“-Limen boukan! (Allume le feu!) Koute pou konprann! (Écoutez pour entendre!)

Malice était invité à un banquet chez M. Louwa, un cossu propriétaire de terres et misérable grigou. Dans ces temps longtemps, les poisons étaient des armes qui faisaient tilili (nombreuses), aussi se flanqua-t-il de son inséparable et naïf compère Bouki comme goûteur de manger. Krik!

-Yé mistikrak! reprenaient les petits mounes (enfants).

“-Lè w ap manje ak dyab, ou kenbe fouchèt ou long.” (Quand tu manges chez le diable, tiens bien ta fourchette.) Après avoir avalé un accra (petit beignet fait avec la racine malanga), Bouki comme dit comme fait, se tordit de douleur comme une anguille qui a la chiasse et tomba raide mort blip!

Malice tout malheureux comme la pierre d'avoir perdu son bon compère, pleura gros de l'eau jusqu'à avoir des hoquets de chagrin. “Se lè koulèv la mouri, ou wè longè l. (C'est lorsque la couleuvre est morte, qu'on remarque sa longueur.) Il fit à son ami un bel enterrement avec une longue veillée de charades et devinettes et même lui porta les neuf mois traditionnels de deuil. Inconsolable il était.

Quelques années plus tard, Guy-Robert un petit voisin aux longs cheveux nattés comme une fille, qui aimait à dériver et tirer banza (lance-pierres) dans les bois à la sortie de l'école, bourra avec Malice pap! Et lui cria dans la figure:

-J'ai vu Bouki! J'ai vu Bouki!

Le mystère

L'Haïtien Jean-Daniel excellent conteur et imitateur de différentes voix, s'en donnait à cœur joie:

-Mais Bouki est mort. Qu'est-ce que tu racontes petit menteur?

-Je ne suis pas menteur. Je suis un homme des bois. “Twou manti pa fon.” (Le trou du mensonge n'est pas profond.) “Krinolin kache gwos men tranche mete li deyò.” (La vérité finit toujours par se faire jour.) J'ai vu Bouki de mes deux yeux, s'empressait Guy-Robert en sueur. Il ouvrait son index et son majeur en V et se pointait ses cocos d'yeux. Il n'est pas mort. Je le vois presque tous les jours avec mes deux yeux, là.

-Où? s'enquit Malice.

-Près du quatre-chemins, derrière le grand champ de patates douces de monsieur Louwa. Il fouille là avec beaucoup d'autres gens. Je le vois, mais il fait comme s'il ne me reconnaît pas, alors je ne lui dis rien.

-Tu as peut-être vu son portrait.

-Non! C'était bien lui, même si ses yeux regardaient dans le vague. C'est comme si il est là, mais il n'est pas là. C' était lui je te dis Malice. Je porte des nattes, mais je sais ce que je dis. Je ne suis pas fou.

-Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant?

-Écoutes moi Bouki! Avec ma coiffure, ce n'est pas à moi de dire que le roi est enterré sans caleçon. Je m'occupe que de ce qui me regarde dans le blanc des yeux. Bouki ne me regarde pas. Zafè kabrit pa zafè mouton.” (Les affaires du cabri ne sont pas les affaires du mouton.)

-J'ai moi-même enterré Bouki dans un trou sous la terre. Il est mort un point c'est tout, insista Malice sceptique.

-Eh ben! Il paraît que monsieur Louwa l'a déterré, lui a soufflé dans les oreilles et sur les yeux pour le faire travailler pour lui. “Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.” Si tu ne me crois pas, va sous le pied de mangos au quatre chemins, attends et regarde toi-même avec tes yeux!

Le zombi

Malgré son incrédulité, la curiosité de Malice l'emporta. Il se posta quelques jours derrière le manguier dans le carrefour boueux indiqué par Guy-Robert. Des jours et des nuits défilèrent et passèrent et pas de Bouki. Alors qu'il se lassait d'attendre... Krik!”

-Krak! rechantaient les enfants.

Encouragé, le poète Haïtien continuait son conte:

“- ... dans le clair-obscur d'une nouvelle lune enveloppée d'un nuage qui filtrait un crachin, il vit bouger en file indienne un paquet d'hommes blêmes comme des citrons pourris, la mine lugubre, tous courbés portant des fourches, des faux, des pelles, des pioches, des houes, des bêches, des marteaux, des faucilles... et parmi eux, apparu Bouki maigre comme un os. Les yeux rouges comme des groseilles, il tanguait comme un canot en mauvais temps, en poussant faiblement une brouette vers le champ de patates douces.

Sans faire ni une, ni deux, Malice s'approcha et le tira vers sa cachette wap! La brouette se renversa sur le côté blip!

-Bouki, mon Bouki!

Malice embrassait Bouki pioup-pioup! Il bousculait son ami qui le laissait faire sans broncher.

-Et moi qui croyais que tu étais mort. Je me sentais moitié sans toi. Quel miracle! Dieu a entendu mes prières.

De vraies larmes coulaient sur les joues de Malice qui gesticulait de joie.

Bouki écrasé, l'air hagard et sans force comme un bwa-bwa (pantin) de carnaval du mercredi des cendres, répétait mécaniquement:

-Je suis un zombi, un corps sans âme. Je suis un zombi, un corps sans âme au service de Louwa éternellement.

-Je te ressusciterai Bouki. Jusqu'ici je n'ai fait que te couillonner avec mes malices. C'est à cause d'eux que tu es dans cet état. “Kriye viv pou moun ki fè ou viv!” (Glorifions ceux qui nous font vivre et nous honorent!) Tu ne m'as jamais fait de mal Bouki. Dès maintenant, je vais te traiter avec respect et bonté mon compère.

Cracra de crottes, Bouki empestait pire qu'un bouc. Le regard immobile et glauque, il reprit sa brouette et suivit les autres zombis à la queue leu leu:

-Je suis un zombi, un corps sans âme. Je suis un zombi, un corps sans âme au service de Lwa éternellement.

Oui! C'étaient des zombis. Les zombis sont des morts vivants.” chuchota l'Haïtien dans un silence où on entendait une mouche voler.

-Comment peut-on être mort et vivant? avait osé interrompre Damida.

“-Un zombi est un cadavre ambulant, un corps sans vie qui marche, un homme mort-vivant veut dire qu'il est vivant, mais puisqu'il n'a plus de volonté et ne pense pas lui-même, il n'a pas son propre esprit et est manipulé par les autres. Et même une femme peut être un zombi. Il y en a partout dans le monde de ces gens qui n'ont pas le choix. Ils font uniquement ce que les autres leurs dit de faire. Ils vivent d'après ce que les autres pensent, disent et font. C'est aussi une mort. Si un copain vous dit “Viens! On va voler la marchande.” et que vous le suivez, vous êtes un zombi.”

M. Alexis fît une petite pause.

La manbo

Damida n'avait pas tout compris, mais sa hâte d'entendre la fin de l'histoire l'empêcha de s'attarder sur cet éclaircissement de cadavre vivant.

“-Yeeeee kriiiiiik! reprit le troubadour Haïtien.

-Yeeeee Kraaaaaak!

Ounfó, temple voudou. Photo Ingegerd Nissen Petersen

-Malice alla au "ounfò du village" (temple du Vodou) trouvé le grand "oungan" (prêtre) Bréfort. Celui-ci le conduisit à la manbo (prêtresse) Espérancia, une belle femme toute en rondeur, vêtue d'une large robe brodée blanc couleur de l'innocence, à qui il raconta l'état de Bouki.

-Ah! Si ce n'est pas malheureux! “Dan pouri gen fòs sou bannann mi.” (Il est facile de se montrer fort avec les plus faibles.) Dans l'accra que Bouki a mangé au festin de ce couillon de Louwa, il y avait de la datura haché. La datura est un poison violent aussi appelé pomme épineuse. Si on n'en meurt pas, cette plante suce l'âme et enlève toute volonté et tout pouvoir. Les profiteurs sont méchants, affirma la manbo en fronçant les sourcils. Est-ce que tu comprends maintenant ce qu'est un zombi Damida? ajouta M. Alexis.

La petite fille se souda les lèvres et n'émit un couic, de peur que M. Alexis ne prolonge son explication qui retarderait la fin du récit à suspense.

“-Comment lui redonner son âme Je suis prêt à faire le nécessaire pour le ressusciter, pleurnicha Malice. Des larmes noyaient ses yeux avant de chuter sur son tricot de peau déjà tâché.

La manbo Espérancia lui tendit un morceau de toile brodée pour se moucher et reprit son commentaire:

-Normalement, ce n'est pas possible de le faire revivre. L'esprit de ce poison est redoutable, mais moi Espérancia (elle se battit la poitrine) je l'ai déjà maîtrisé en le buvant moi-même dans du lait de cabri tout en gardant mon loa (esprit) avec l'aide du "Granmèt" (Dieu). Il est tout puissant, dit la manbo Èspérancia très sûre d'elle.

Elle se leva, fit deux pas, empoigna ses hanches de ses deux mains, regarda le ciel et dit:

-Je convoquerai mes fidèles. Notre religion Vodou n'est pas sorcier. Nos rites sont des appels musicaux à nos Dieux ancestraux. C'est tout. Ne te fais pas de soucis pour ton Bouki. Nous lui ramènerons son "Gwo bonnanj" (l'âme qui anime le corps humain). Pour cela tu dois nous promettre Malice de ne plus faire du mal à ton ami. Un ami n'est pas un bouc émissaire et encore moins un goûteur de mangé. Et tu dois t'engager à ne pas révéler le secret de notre cérémonie, afin d'éviter des malentendus. “Mouch pa antre nan bouch ki fèmen” (Les mouches ne rentrent pas dans une bouche fermée). Nous en avons déjà assez que notre religion soit décausée, dénigrée et décriée par ce monde d'ignorants. Tu dois donner ta parole d'honneur au nom de la résurrection de ton ami. Sois bienheureux que nous te faisons confiance malgré ton attitude envers Bouki.

-Malice se mit à genoux, prit les mains de la manbo et les embrassa en lui promettant tout ce qu'elle voulait.

-D'accord! D'accord Manbo! Je jure, je jure.

Le poto mitan

L'Haïtien se tint un instant le menton et se frotta les yeux.

“Un mercredi de pleine lune, Manbo Espérancia suivie d'une queue de personnes qu'on ne pouvait décrire dans la pénombre de la lune éclipsée, se retrouvèrent au lieu indiqué.

-Commençons par honorer Papa Legba, dit la Manbo solennellement en faisant appel à ceux qu'elle présenta comme des "ounsi" (Joueurs d'assotors, mais aussi servants et servantes du temple).

-Ils vont battre les trois "assotors" du temple (tambours sacrés) chuchota-t-elle.

Tous commencèrent à chanter autour du "poto mitan": un mât au milieu du temple qui polarise les énergies de la terre au ciel. Tout a un centre, un cœur, un milieu, un noyau. Le potomitan est le pylône de l'esprit de concorde, le centre du TOUT. Le son des tambours et les chants adressés à Dyò (Dieu), rafraîchissaient la canicule.

“Papa Legba
Ouvri bayè pou mwen
Agwe
Papa Legba
Ouvri bayè pou mwen
Ouvri bayè pou mwen pase
Lè mwen rive
Ma va remèsye lwa yo
Papa Legba”

(Ouvre moi la barrière
Salut à toi Legba
Ouvre moi la barrière
Ouvre moi les portes de la Sagesse
Lorsque j'y serai
Je remercierai tous les esprits.)

La voix claire, forte et nostalgique de Jean-Daniel Alexis grimpait la touffeur de l'après-midi vers la voûte céleste. Le glaive du mal du pays lui perçait l'organe de l'amour qu'est le cœur. Que Gonaïves lui manquait! “L'Haïtien est constamment imprégné de l'âme de son pays qui est son obsession. J'aime et chérirai toujours Haïti.” aimait-il à dire.

“-Malice chanta avec eux jusqu'à s'égosiller. Sa voix se cassa.

-Et maintenant, amène nous ton compère et les sacrifices, lui ordonna la manbo.

Malice déposa sur une table, une conque de lambi, une bouteille de rhum, une poule, un paquet de farine de maïs, de la poudre rouge, un coq noir et un coq blanc et plusieurs colliers de perles!

-Tu as de la chance que nous ne te demandons que ces simples sacrifices, parce que tes plaisanteries sont méchantes. On ne fait pas du mal à son ami. L'amitié est sacrée. Et maintenant va chercher ton Bouki!

-Après ses dons, Malice alla reprendre sa cachette sous le manguier. Lorsque Bouki-zombi passa en traînant des pieds avec sa brouette, il s'approcha de lui par derrière, l'attrapa, lui passa sac de riz par dessus la tête et le traîna jusqu'au hounfo de la cérémonie. Les "ounsi" s'emparèrent rapidement de Bouki. En compagnie du "oungan" (le prêtre), la "manbo", la poule et le coq, ils s'enfermèrent dans le "djevo" (une chambre d'initiation). Oh! Je ne tiens pas à vous donner tous les détails de la cérémonie mes enfants. Vous êtes bien jeunes. Si cela vous intéresse, vous serez un jour initiés.

Pour ne pas avoir à dévoiler la cérémonie, on ne peut révéler ce qu'on ne sait pas, Malice s'installa à la belle étoile. Il attendit. Attendit. “Trò prese pa fè jou louvri” (Tout vient à point qui sait attendre). Il attendit jusqu'à ce que la lune s'occulte, se transforme en soleil derrière le ciel et entrouvre un œil à l'horizon.

Comme d'un œuf bien couvé, Bouki se débattit en sortant du djévo la tête propre, bien rasé, tout frais, pimpant, vêtu flambant neuf. Il vit Malice sous le soleil et s'esclaffa. “Ha, ha! Ha, ha! Malice compère, où étais-tu? Comment vas-tu? J'ai l'idée que tu m'as manqué. Il y a si longtemps que je n'ai pas subi une de tes malices, quelquefois tu vas fort, mais tu es mon ami.“

Quoiqu'étonné, Bouki heureux comme une souris dans la farine de cassave, prit chaudement son compagnon dans ses bras.

-Comment vas-tu? répétait-il. Tu ne dis rien Malice? Tu as perdu la parole? J'espère que tu n'es pas malade au moins?

Malice la bouche grande ouverte, n'en revenait pas. Il se laissa tombé dans les bras de son ami en pleurant.

-Tu n'auras plus à supporter mes méchancetés Bouki. Tous les jeux sont des jeux, mais "Fourrer un morceau de bois dans les fesses d'un macaque" n'est pas un jeu. À partir d'aujourd'hui, je te respecterai comme je veux moi-même être respecté. Je suis tellement content de te retrouver. Je viens de passer un mauvais moment qui m'a convaincu qu'il ne faut confondre la gentillesse à la couillonaderie. C'est un bon sens de l'esprit et mon nom Malice, en vérité, veut dire bien utilisé son intelligence. Dorénavant, je me promets d'être bienveillant avec ceux et celles qui me traitent correctement... et même les autres. Yé krik!”

-Yééééé kraaaak! répondirent la petite troupe toujours attentive.

Par don est le don

“-Bouki ne se souvenait de rien du tout. Il trouvait bien étrange et bizarre le changement soudain de son ami. Qu'est-ce qu'il racontait? Était-il devenu fou Que s'était-il passé? Oh! Et puis, que de fois il avait souhaité que Malice soit plus agréable à son égard! Le Gros-Bon-Ange, L'Esprit Supérieur l'avait certainement entendu. Il n'en revenait pas de l'attention de Malice, mais ne se posa pas de question. “Bondye padone, nèg pa padone” (Le bon Dieu pardonne, le nègre ne pardonne pas) est le dicton haïtien. Bouki n'était pas un nègre comme les autres. Il était ce qu'on appelle un Grand Nègre. Une personne quelque soit sa race, digne, simple, d'une indulgence plénière, empreint de nobles aspirations, naturellement honnête, un être d'une rare droiture qui ne se laisse pas attarder dans le passé et vit totalement au présent. Le seul cadeau de la vie. Il préféra se promettre de désormais s'habituer à la véritable amitié de son compère.

-Oui! La bienveillance, la bonté et gentillesse sont des qualités magiques! conclut M. Alexis en éclatant de rire. Krik!”

-Krak!

Damida et les autres enfants restèrent babas devant ce miracle. Des questions brûlantes sur la religion Vodou bousculaient leurs jeunes cervelles. Bouki ressuscité? La datura un poison qui tue, à la portée de tous dans la nature? Les manbos avaient-elles le pouvoir miraculeux de Jésus? Que s'était-il passé dans le ounfò?

-Un jour vous comprendrez que seule cette religion est notre tradition racinienne. Elle est le souffle et l'âme de l'Afrique, murmura Jean-Daniel en se déployant le corps.

Afrique et vodou

Encore l'Afrique. Quel pouvoir avait ce pays?” se demandait Damida tout-bas. Et comme s'il se parlait à lui tout seul, Jean-Daniel déclama dans un silence:

“-La religion Vodou est la spontanéité qui équilibre le connu et l'inconnu, bien cachée derrière les manifestations de la toute-puissante nature. C'est la réflexion de l'hymne divin. Considérée maléfique par le Code Noir de 1685 des colonialistes qui déclarèrent le baptême de la religion catholique obligatoire, elle est malheureusement discréditée. Depuis notre indépendance en 1804, elle est aussi importante que toutes les religions. Nos prêtres, nos prêtresses et nos adeptes veilleront à ce qu'elle se perpétue, car c'est une religion monothéiste qui reconnaît l'existence d'un seul Dieu: Granmèt. Notre prière Dyò commence par l'invocation du Grand Père Éternel.

Les fonctions des prêtres et prêtresses vodouistes sont la guérison, la cérémonie pour les nouveaux prêtres et prêtresses, prédire l'avenir, expliquer les rêves et fabriquer des objets de protection et les potions. Pratiquer notre foi est d'abord communiquer avec Dieu en étant à son service dans la joie en chantant et en dansant, comme on le fait dans toutes les messes et les cérémonies. Certaines liturgies chrétiennes autorisent bien à boire le sang du Christ et manger son corps.”

Jean-Daniel commençait à s'échauffer. En voyant les yeux des enfants rivés sur sa bouche, il se calma et continua:

“-Je ne vais pas m'étendre sur notre foi, parce que comme toute connaissance divine, elle requiert une initiation de la mort à la renaissance. Je vous dirai tout simplement que Vodou signifie esprit, divinité. Il est le mot haïtien qui résume les rituels musicaux pratiqués encore par le peuple Yoruba au Nigeria et au Bénin dont la religion porte le même nom. Cette croyance aux multiples dieux est comparée aux Anciens grecs et leur panthéon. Les rituels chantés et dansés et les sacrifices souvent d'animaux, servent à la convocation des dieux qui empruntent le corps de leurs fidèles pour s'animer. Malgré toutes les interdictions, elle est encore pratiquée au Brésil sous le nom de Macumba et Camdoblé, à Cuba c'est la Santéria... Chez nous en Haïti, nous avons deux rituels. Celui du Rada et de Petwo. Toi Damida tu appartiens aux trois aspects d'Erzulie. Erzulie Freda Daomé, Erzulie Dantò et Gran Erzulie Notre Déesse de l'Amour, de la beauté, de la sagesse et la maturité qui porte le nom d'une rivière au Nigeria: Azili.”

Erzulie Danthor
Erzulie Danthor par Ylves Delva © Carrie Art Collection

Ouille! Damida sursauta. Ne comprenant toujours rien de l'Afrique, cette affirmation d'être une Déesse Vodou de l'amour, lui causa une frayeur. Déesse de l'amour? Qu'est ce que l'Amour? Sa sempiternelle question se remit au diapason. Elle frissonna.

-Tous ces mystères effraient les enfants Alexis, proféra M. Démosthène.

- C'est justement pour cela que je suis là pour leur donner le message compère. Il est important que les enfants connaissent la vérité. Il est clair qu'elle n'est pas toujours agréable et facile à entendre. Rien ne se perd. Un jour ils comprendront.

- Tu as tout à fait raison mon ami. Il est aussi à préciser compère que cette fable haïtienne est aussi un hymne à l'amitié spirituelle.

Le Guadeloupéen

Les enfants quoiqu'abasourdis par les révélations étonnantes sur le vodou dans le conte de Malice et Bouki, restèrent assis par terre, tout ouïes à l'intervention de M. Démissien Démosthène, le Guadeloupéen.

L'exilé souleva son inséparable casquette, se caressa le protecteur de sa matière grise, ajusta ses nouvelles lunettes d'écaille, se joignit les mains sous son nez en posant son regard tour à tour sur les fillettes et les garçonnets: les enfants de sa cour. Sa cour qui ne dormait pas.

-Mes enfants, ce que je vais dire sur l'amitié peut vous être aussi incompréhensible et anormale que le conte de Malice et Bouki. Si vous cherchez à comprendre, vous serez mêlés comme de la cendre et de la farine-France. Soyez seulement attentifs. Contrairement à Jean-Daniel, je n'appartiens à aucune religion. Je crois tout simplement en une innommable Force supérieure à mon petit moi. Et honnêtement, il m'arrive de ne pas avoir le courage de croire en cette Force inconnue, invisible... Puisque le courage est la joie de vivre incognito, dans l'inconnu, avec l'inconnu et pour l'inconnu, c'est là que j'ai besoin d'un ami que je connais et qui me connaît. Je crois au souffle qui me rattache à l'être humain qui habille cette Force. Je crois au silence intérieur qui me ramène au présent, à dessein d'intégrer cette Force. Je crois à tout ce qui me fait du bien. Comme dit mon ami, nous les vieux devons inculquer aux plus jeunes tout notre petit savoir créole. Notre seul héritage. C'est à travers vous que nous continuerons d'exister. Vous savez que je suis curieux comme le long bec d'une orphie aussi j'ai beaucoup à raconter.”

Cela, les enfants le savaient tout bonnement.

L'amitié spirituelle

- Moun a-w se moun a-w (Tes amis sont tes amis), est le proverbe de l'amitié créole. Vous appelez “Ami” les amis de vos parents, parce qu'il est irrespectueux de les appeler par leur prénom. Ce qui prouve que Ami exige le respect. Le respect est une considération attentive et admirative, mais ne suffit pas à l'amitié. Il faut de la vénération. Votre ami est donc une personne que vous choisissez pour vous aider à prendre conscience de la Force supérieure. Être conscient est se connaître soi-même. Se connaître est d'abord admettre que nous sommes des êtres humains avec toutes ses qualités et tous ses défauts. Si quelqu'un me dit que j'ai bu l'eau de la parole (bavard), je ne serais pas fâché, parce que c'est vrai.

Les enfants partirent d'un grand éclat de rire, ce qui souligna un tendre sourire sur le visage de l'orateur.

-Ma langue n'est pas du tout celle d'un poisson frit. J'aime parler. Je me connais suffisamment pour savoir que je suis bavard. Lorsque vous vous connaissez, personne d'autre que vous-même, ne peut vous blesser. Se connaître est aussi accepter que la Force supérieure est en nous-mêmes, si ce n'est nous-mêmes. C'est l'essence de la conscience. La conscience n'est ni bonne ni mauvaise, elle réagit d'après le pouvoir de nos intentions. Ne faites pas à votre amis ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. “Sa ki pa bon pou zwa pa bon pou kanna.” Ce qui n'est pas bon pour l'oie n'est pas bon pour le canard). Il est vrai que les proverbes n'expriment pas toujours la sagesse. Ils entretiennent parfois la crédulité d'une époque révolue ou ils enracinent des croyances malsaines. Ne perdons pas notre fil. Votre meilleur ami est identique à vous-même, est une vérité infinie mes enfants. Pour comprendre cela, il faut savoir que nous sommes tous composés d'une partie invisible et d'une partie visible. Ami. Âme. Aimant. Amen. Identique. Identifier. Identité. L'identité veut dire ressemblance. Nous sommes vous et moi identiques. Nous nous ressemblons dans l'invisible, tout en étant différents par notre partie visible, parce que par exemple tu es une jeune fille Damida et moi je suis un vieux monsieur. Pourtant à travers notre histoire, nos racines, nous sommes semblables toi, M. Alexis, les enfants et moi.

Lèspri ka al p li vit ke kò (L'esprit va plus vite que le corps)”, est un vieux proverbe créole. En effet, le corps nous sépare, mais la Force supérieure que nous partageons nous unit parce qu'Elle est partout. Au fond nous sommes tous des amis. Il faut être bon avec ceux que nous choisissons comme ami, c'est-à-dire que nous sommes conscients de mettre tout près de notre âme. Avec un ami on se plaît sans raison apparente. Être un ami est l'action de se reconnaître dans l'autre. C'est cela la beauté de l'amitié!

Quelques enfants commencèrent à plonger leur petit doigt dans une oreille, peut-être afin de bien saisir le mystère du discours.

-Pour apprécier un ami, il faut être au courant de vos intentions. L'intention est le pourquoi on fait la moindre des choses. Il y a toujours un pourquoi. Si ou di on moun i lèd kon fouk a makak, a pa pou fè y plezi. Ki w vle ki w ve pa, lide a w se dè kraze y. Me si y ka pòte on chaj e ou ba y on pal, si a pa pou vole y, lide a w se dè soulaje y. Enben lide la se entansyon la. (Si vous dites à quelqu'un qu'il est laid comme le cul d'un macaque même pour plaisanter, ce n'est pas pour lui faire plaisir. Que vous le voulez ou non, votre intention est de l'humilier. Par contre, si vous aidez la même personne à porter un faix, une charge, si ce n'est pas pour le voler, votre dessein est de la soulager. C'est la force de l'intention.) Vous avez entendu vos parents dire que je suis plus grand sorcier que Granzong de la Martinique?

Un hésitant "Oui!" en chœur s'éleva.

-Si vous l'aviez cru, seriez vous en ce moment autour de moi?

-Non!

-Ce qui veut dire que votre intention est de bonne qualité. Tout ce que je veux vous faire comprendre est que c'est l'intention qui affaiblit ou au contraire donne du fortifiant à votre âme . Écoutez moi mes enfants. Je sais que ce n'est pas facile à comprendre, mais tenez bon et écoutez pour entendre ce qui va suivre: L'âme, la partie invisible de l'être demande de l'attention à tire-larigot, car Elle est aussi fragile que le verre de cristal le plus raffiné des raffinés et peut se fendre à la moindre bousculade. Elle est aussi délicate que les ailes transparentes d'un zing-zing (une libellule) et aussi susceptible qu'un pot de chambre plein de pipi qu'on n'a pas vidé depuis un lot de temps. Oui! Elle est très fragile autant qu'Elle est La Plus Puissante Force qui existe. Vous pouvez répéter cela.

C'est pourquoi avec un ami, on n'a pas à se défendre. On est naturellement protégé. On n'a pas besoin de s'expliquer. Il est permis de savoir et ne pas savoir. On s'estime et on s'honore. Honorer quelqu'un est respecter sa partie invisible. Son âme. Son esprit. Sans esprit, pas d'amitié. En compagnie d'amis, il n'est pas nécessaire d'essayer de comprendre, on communie. Communier est se sentir un avec son être divin et celui de l'autre et de tous les autres. C'est un sentiment de communication. Entre amis, on s'embrasse. Prendre quelqu'un dans ses bras, près de son cœur qui bat, est un geste de guérison. En amitié on s'exprime librement. S'exprimer est formuler, s'exposer ou s'activer dans le but de se mettre en contact avec le meilleur de soi et de son prochain.

Avec des amis, on n'a pas peur. La peur est la mauvaise idée que cela ne va pas comme nous le voulons, mais le plus souvent nous ne savons pas ce que nous voulons, donc cette sensibilité nous tourmente. Lorsque nous n'acceptons pas que nous sommes un avec tout le monde sans exception, la peur nous déchire en deux. Comment admettre que nous faisons un avec ceux ou celles que nous considérons nos ennemis? C'est une torture, penserez vous. Oui Amélien! Tu fais un, même avec le petit lézard auquel tu coupes la queue. C'est l'amitié universelle!

On se fie à un ami. On a confiance. Avoir confiance est pouvoir se mettre totalement entre les mains d'un ami sans se poser de question. On aime son ami. Aimer c'est savoir ce qui nous fait du bien et le faire à son ami, mais là aussi, souvent nous ne savons pas ce qui nous fait du bien. Ce qui fait du bien peut faire du mal et ce qui fait du mal peut faire du bien. Définir la subtilité de la notion du bien et du mal, est s'ancrer qu'en fait il n'y a ni bien ni mal. C'est l'équilibre. Tous ensemble on est ENTIER. Sé ansanm-ansanm! (L'harmonie).

La réalité humaine veut que l'amitié divine est rare comme un nègre aux yeux bleus. Pour être un ami empreint de grâce, il faut être et rester un enfant.

L'entente âme... ami... amicale est une alliance au-delà du temps, de la famille, de la compétition ou la concurrence, des tribulations dues aux décausés, à la jalousie, aux méchancetés, aux culpabilités ou toutes les difficultés économiques et sociales, ce qui ne veut pas que la famille et les fréquentations ne sont pas importantes. Ne me mêlez pas (Pas de malentendus). Au contraire, les esprits unis fortifient tout. C'est un accord qui efface tout effort et toute lutte. Sé san fòsé (c'est sans effort.) Cela se fait tout naturellement. Il suffit de l'entretenir par la sincérité. Les vrais amis génèrent une force qui fait des miracles. Notre plus grande peur est de reconnaître que nous sommes des esprits déguisés en êtres humains.

Les véritables amis ne sont pas obligatoirement ensemble toute leur vie. Parfois seulement le temps qu'ils s'accomplissent ensemble. Des personnes peuvent être mariés, en case, meilleurs amis, appartenir au même club de football, à la même église, loge, politique, religion, ou de la même famille... sans pour cela être de vrais amis. L'amitié est rare et précieux, précisément parce que ce n'est pas facile de se connaître, à plus forte raison de connaître l'autre.

Se connaître est s'ouvrir à la vérité. C'est une invisible et douloureuse opération à vif. Aïe! Aïe! Ouille ouille ouille! Il est toujours plus facile de se faire des gestes macaques, de se mentir à soi-même et aux autres, d'utiliser les excuses sous de bons prétextes déjà bien établis, d'accuser les autres et les tenir responsables de nos mauvaises expériences. C'est humain, c'est-à-dire que c'est un comportement qui appartient à tout le monde.

L'expérience vous éduquera si vous êtes attentif.

-Qu'est ce que c'est “expérience” M. Démissien? demanda Bertin le petit albinos aux yeux pétillants.

- L'expérience est de savoir entre autres, que le macaque ne joue pas avec le tigre. Les expériences sont les leçons que nous tirons du bien qui nous arrive et des erreurs que nous faisons dans la vie. La maturité vient de ce que nous retenons de nos expériences. Vous qui gourmez souvent entre vous. Je vous entends vous chamailler. Ma porte est toujours grand ouverte. Si vous rentrez dans une guerre sans bâton et que vous recevez une volée de coups de bâton sans pouvoir vous défendre, la douleur du paquet de coups, vous apprendra peut-être que la prochaine fois que vous chercherez train à quelqu'un, il vous faudra vous armer de votre propre bâton. Dans ce cas, cette souffrance c'est l'expérience. Ce qui ne veut pas dire que je suis d'accord sur vos mauvais jeux. “Jeux de mains, jeux de vilains.” Soyez de bons amis! Allons mes enfants! Reposez vous de toutes ce paquet de paroles! Cela suffit pour aujourd'hui. Allez jouer!

Les bons amis

Au ralenti, les enfants en se grattant les diverses parties du corps, en s'étirant et en baillant, se levèrent à la fois schlass et songeurs. Le conte de l'Haïtien et la causerie du sage Guadeloupéen les avaientt saoulés. Ils avaient un peu mal au crâne, mais que les deux Grands Nègres s'adressent à eux en adulte les enorgueillissait.

Les deux sages satisfaits y allaient de leur épilogue.

-Démosthène, tu dis que j'effraie les enfants avec mes contes de vodou. Et toi? Ne crois-tu pas que tu as été un peu loin et trop explicite sur l'amitié. Pour ces enfants l'amitié est simplement jouer à la poupée, aux billes et aux noix ensemble. Pourquoi leur compliquer la vie? Ils auront bien le temps de vivre leurs déceptions.

- Et les billes sont des petites planètes mon cher.

Les yeux du savant Guadeloupéen clignotèrent d'espièglerie.

-Les petits deviennent grands. Il est certain que ces explications sur l'amitié sont un peu trop, même pour les adultes. Mais enfin! Ne faut-il pas commencer à arroser nos pieds-bois quand ils sont tout petits? C'est d'ailleurs ton récit sur l'amitié de Malice et Bouki qui m'a inspiré.

Jean-Daniel tendit la main à son ami.

-Sache que je suis privilégié d'être ton ami Démosthène, mais entre nous, crois-tu vraiment que cette amitié divine existe?

- La vraie question est “Crois-tu que Dieu existe?” Nous sommes deux exilés. Nous ne pouvons être que des amis, autrement cet isolement serait vain. Je sais que mes méditations sur la vie n'appartiennent pas au commun des mortels mais, j'ai cette fiévreuse appétence de croire à l'amitié spirituelle!

-Qu'est-ce que cela signifie pour toi?

-Que La Force supérieure inconnue et invisible qui est partout donc en toi, est mon meilleur ami. C'est pas plus que ça. Merci d'être mon ami Jean-Daniel!

Les Grands Nègres illuminés se regardèrent en se douchant mutuellement de sourires de connivence. Puis, ils s'installèrent encore une fois chacun dans leur fauteuil respectif au coin de la cour, autour d'une bonne potiche d'eau fraîche, à l'ombre du disque du soleil qui las d'avoir luit se couchait en fermant l'œil. Quelle belle journée!

Maxette Olsson

Maxette
Maxette danse en hommage au soleil. Photo Malte Olsson.