Carnaval à Basse-Terre en Guadeloupe 2008

Photo: Maxette Olsson

À la fin de la messe, Damida se sauva ventre à terre, mais cette fois pas vers la marchande de bonbons rassis. Elle n´avait pas les sous de la quête. Elle opta de suivre les groupes de "mas a kòn, mas a kongo é mokozonbi (spectacles de groupes masqués)". Ces mascarades à l´époque principalement masculines se déroulaient chaque dimanche en fanfare pendant la période carnavalesque. Photo: Maxette Olsson

Rappelons que Carrus Navalis (Carnaval) en latin désignait le nom romain du navire de Bacchus le fils de Jupiter et de Sémélé, le dieu de l'ivresse et des bacchanales, ces fêtes religieuses de l'Antiquité. Le carnaval créole introduit par les colons et institué par la corporation des bouchers signifiait la période carnivore où on invitait à une consommation copieuse de viande. Suite à ces orgies carnassières, il annonçait le carême soit le jeûne, synonyme du bannissement de la viande soit "carnelevare" en italien. Les réjouissances commençaient juste après l'Epiphanie, mais le Mardi gras restait le jour de magnificence où les parades sur les chars décorés attiraient tout Guadakéra à la Belle-Terre et de dégustation de beignets au sucre. Photo: Maxette Olsson

Juste après le jour de l'an, Carnaval redémarrait par deux concours de la plus belle biguine diffusée à la radio : l'une pour la biguine classique, l'autre pour la biguine-vidé. Le parleur de créole radiophonique M. Julien Chemin s'exaltait comme un coq en pâte, car tous lui faisaient des ronds de jambes puisqu´il présidait tous les concours. Concours de musique-vidé. Concours de merengué. Concours du plus beau char. ... Photo: Maxette Olsson

Chaque dimanche au son de gros-tambours (de vieux fûts de viande salée en fer-blanc ou des petits tonneaux en bois peints), de tambours d'aisselles ou à baguettes, de tambours à peaux, de gobelets en métal, de petits bâtons, de plats usés en aluminium, de timbales et cuillères, de sifflets, d'accordéons, de triangles, de flûtes, de saxophones, de trombones, de trompettes, de conques à lambi, de tiyobanbou (tuyau de bambou) de siyak (tige de bambou sculptée de sillons sur lequel on gratte à l'aide d'un grattoir) de vieilles bouteilles, de gousses de flamboyant, de calebasses, de sifflets... enfin, presque tout ce qui produisait une sensation auditive, défilaient des groupes différents masqués et déguisés : Photo: Maxette Olsson

"Les masques-à-Saint-Jean" dont l'unijambiste Saint-Jean sur sa motocyclette annonçait les groupes à masques. Celui qui faisait "masque-à-corne" se couvrait le corps de feuilles de bananes et le visage d'un bas en nylon transparent et accrochait solidement sur son front la paire de lourdes cornes de boeuf dégotée dans les poubelles des abattoirs. Il grattait le sol avant de bondir vers une spectatrice, faisant semblant de l'encorner. Les joueurs de flûtes accompagnaient "masque-à- l'ours" ou le "dansé Marianne" de l'ours et son dompteur plus amusant que celui du Cirque qui tous les deux ans larguait son caca d´ours, de lions et d´acrobates au Champ Aragon. Photo: Maxette Olsson

"Le mariage burlesque", une parodie qui banalisait l´union d´illustres personnages exclusivement réservée aux macomères (homosexuels) vous déridait un mort. "Le masque-à-miroirs" et "Le masque-à-rubans" vêtus de costumes de couleurs vives recouverts de miroirs manifestaient l'harmonie et la beauté. "Le masque-à-congo" ou “nègre-gros-sirop” aussi appelés "masque-à-goudron" coiffé d´un chapeau melon, parfois d´un képi ou d´un bonnet, à peine vêtu, le corps graissé d'un mélange de mélasse et de suie, un produit qui saillait les beaux muscles, se déhanchait frénétiquement devant une femme hilare. "Le mokozonbi" juché sur ses échasses, son parapluie ouvert afin de recueillir les pièces d'argent jetées des balcons, franchissait un nain bouffon en une enjambée. Il n'était pas de tout repos de danser sur ces deux longs bâtons munis d'étriers au son des accordéons et des triangles. Photo: Maxette Olsson

"Le masque-à-fouet", lui, faisait violemment claquer son fouet sur le sol afin de rappeler la cruauté des colons négriers et lui rappelait son beau-père. "Le masque-à-haillon" habillé de vieux lambeaux d'étoffes bariolés concrétisait l'arlequin de la commedia dell'arte. L'assassinat d'un prince par un bandit des grands chemins de la pièce musicale et traditionnelle Guadeloupéenne "L'assassin et le malheureux" faisait frémir pour le plaisir de frémir devant le talent de ces acteurs qui feraient rougir ceux de la Comédie Française bien poudrés, fardés en perruque en tournée chaque année à la salle du cinéma Rex. "Le matelot-saoul" qui baragouinait l'anglais en tanguant comme la langue d´une cloche en carillon, la bouteille de rhum blanc bue au goulot, personifiait un marin bourré des cargos-bananiers. Les mêmes qui introduisaient la morue salée aux Antilles. Photo: Maxette Olsson

Le bout-en-train effervescent des gros-tambours, la jubilation du public subjugué, la gaieté de ces comédiens de la rue, l´ambiance multicolore, ces éblouissants feux d´artifice d´inventivités, ces folies créatives l´envoûtaient, éteignaient cette minable désolation accrochée à son dialogue intérieur, allumaient son intime flambeau, réanimaient sa force de vie et la captivaient jusqu´à oublier les blessures de son petit corps et de son âme. Elle craignait "Le masque-à-la-mort" (masqué en tête de mort) drapé d´un drap blanc sur lesquel était peint un squelette. Il débusquait sans crier gare des coins de rues obscures et vous étreignait par derrière, aussi revint-elle avant la tombée subite de la nuit, trop exténuée pour avaler la soupe froide de pattes à cochons qui l'attendait sur la table. Dieu merci ! Photo: Maxette Olsson

La maison était déserte. Pas un chat. Cette fortuite accalmie lui offrit la faculté cognitive de ressentir l´ambivalence, fomentation de sa confusion. Elle se sentait à la fois coupable et innocente. Comment réconcilier ces deux émotions opposées ? Encore un dilemme pour une gamine qui n´aspirait tout simplement qu´à aimer et être aimée sur son île au soleil. Paradis entre ciel et terre ? Manman ! Photo: Maxette Olsson




Maxette Olsson

Extrait de son livre "Dieu est Maître-Femme Créole"

Des histoires sur un île aux Antilles qui n´existe pas.

Nous tenons à remercier Audebert et Marie-Claude Simonnet de Basse-Terre pour leurs gracieuses invitations aux gradins, ce qui nous permirent de photographier et de filmer au goût de notre coeur. Merci !
Maxette et Malte Olsson